Résumé
- Le marché mondial des dispositifs d’administration de médicaments connectés devrait enregistrer une croissance annuelle de plus de 25 % pour dépasser 700 millions de dollars en 2025
- A mesure que la demande de traitements pour maladies chroniques augmente, une proportion croissante de patients gérera et administrera elle-même ses traitements à domicile, faute de quoi les services aigus risquent d’être submergés
- Les dispositifs connectés sont des outils essentiels pour fournir les flux de données permettant aux cliniciens de surveiller et gérer à distance l’état des patients
- Face à la pénurie croissante de personnel et à la hausse de la demande en santé, l’administration à domicile deviendra de plus en plus importante, renforçant le besoin de connectivité numérique à distance
- Les concepteurs de dispositifs d’administration de médicaments connectés doivent créer des produits favorisant la connectivité tout en réduisant les déchets, notamment pour les composants électroniques intégrés utilisant des terres rares
- Les gouvernements, payeurs, prestataires de santé et laboratoires pharmaceutiques doivent également collaborer pour établir des standards d’interopérabilité des données, tout en œuvrant ensemble à limiter les risques de violation de la confidentialité des données dans un monde de dispositifs de santé connectés
Gestion à distance des patients
En période de crise sanitaire mondiale, notamment lors d’épidémies, la consultation à distance avec des cliniciens et la possibilité pour les patients de s’auto-administrer les traitements à domicile sont particulièrement mises en avant. En réalité, il sera impossible de soutenir durablement les systèmes de santé surchargés dans le monde, crise ou non, si l’auto-gestion des patients et les téléconsultations ne sont pas développées et généralisées. La demande de soins de santé augmente avec la croissance des maladies non transmissibles et le vieillissement de la population, au point que le personnel de santé mondial devra doubler d’ici 2030, selon le World Economic Forum1. Or, cette hausse se produit alors que toutes les structures de santé mondiales font face à des pénuries de personnel2.
Une gestion efficace et à distance des patients dépend de la transformation numérique du secteur de la santé. Une récente étude de Siemens3 a démontré que les services à distance étaient perçus à travers le monde comme un des trois principaux avantages de la digitalisation pour les systèmes de santé. Les soins numériques à distance doivent offrir plusieurs fonctions clés pour remplir leur engagement social auprès des patients : permettre l’accès aux cliniciens ; garantir que les traitements prescrits soient administrés aux bonnes doses et fréquences ; et surveiller l’état et les réactions des patients.
Développement des dispositifs numériques d’administration de médicaments
Le suivi des patients est un domaine relativement avancé de la digitalisation des soins de santé, en particulier pour les maladies chroniques respiratoires et le diabète, où la responsabilité du patient pour l’auto-gestion et l’administration existe depuis des décennies4. Cependant, des progrès notables sont réalisés dans le secteur des dispositifs numériques connectés d’administration de médicaments. Une analyse menée par Owen Mumford5 estime que le marché mondial des dispositifs d’administration connectés (injection et inhalation) pourrait atteindre 706 millions de dollars d’ici 2025, contre 225 millions en 2020, soit une croissance annuelle supérieure à 25 %. De plus, plusieurs études mettent en avant une croissance encore plus forte de l’utilisation de dispositifs connectés dans les essais cliniques6.
Il est donc évident que les analystes prévoient une forte croissance des dispositifs connectés d’administration de médicaments, avec un rythme variable selon les pays. L’adoption des technologies mHealth (santé mobile) permet d’illustrer les différentes approches nationales, ce qui pourrait se refléter dans l’adoption des dispositifs connectés d’administration des médicaments. En Europe, par exemple, l’adoption des technologies mHealth est la plus lente en Allemagne et en Autriche, modérée au Royaume-Uni, et plus rapide en France et en Italie7. Aux Etats-Unis, l’adoption dépasse celle de l’Europe8.
Motivations des parties prenantes et dispositifs connectés
Plusieurs parties prenantes clés – payeurs, cliniciens, entreprises pharmaceutiques, patients – influencent l’adoption des dispositifs d’administration de médicaments connectés. Chacune a une perspective différente. Il est utile d’examiner leurs motivations, moteurs et attitudes actuelles.
1. Payeurs
Que ce soient des organismes d’assurance ou des systèmes de santé publics, les payeurs se concentrent de plus en plus sur l’optimisation du rapport qualité-prix des dépenses de santé. Le “soin de santé axé sur les résultats” est devenu une réalité politique dans la plupart des pays développés. Ce changement d’approche vise à favoriser la société en bonne santé, ce qui, par définition, diminue la consommation de soins et réduit globalement les coûts. Ceci est lié à l’encouragement des traitements à domicile en dehors d’environnements aigus (et coûteux). La technologie numérique est essentielle pour y parvenir, en créant un canal de données permettant la surveillance des patients, la transmission des prescriptions et les conseils à distance entre les professionnels de santé et les patients.
Un autre élément clé pour les payeurs est la montée en puissance des thérapies biologiques capables de traiter des pathologies chroniques et aiguës pour lesquelles il n’existait pas auparavant de traitement efficace. La précédente vague a introduit les biothérapies pour les maladies inflammatoires/auto-immunes telles que la maladie de Crohn et la polyarthrite rhumatoïde. La vague actuelle de nouveaux traitements biologiques se concentre sur les thérapies en oncologie. Si ces traitements devraient à terme permettre d’éviter l’aggravation des comorbidités et des soins onéreux, leur coût initial reste élevé, même si le marché des biosimilaires se développe. Les payeurs considèrent donc les dispositifs connectés comme des outils essentiels pour garantir l’observance des traitements par les patients. Les dispositifs connectés dotés de capteurs électroniques intégrés rapportant des données sur l’heure et le volume administré ne garantissent pas en soi l’observance, mais ils fournissent aux professionnels de santé des informations leur permettant de suivre le respect du traitement à distance, là où cela serait autrement impossible.
2. Cliniciens
Les cliniciens cherchent à offrir les meilleurs résultats à un maximum de patients. Ils veulent garantir l’observance, dans l’intérêt du patient, et considèrent les dispositifs connectés comme un moyen pour y parvenir. Certains prototypes permettent même, via des indicateurs surveillés à distance, d’ajuster la posologie à distance9, mais ce type d’interactivité est encore loin de la généralisation commerciale. Des fonctions de surveillance avancée, allant au-delà du simple rappel/déclaration de dose – comme le suivi d’effets secondaires ou l’évaluation de changements de traitement – devraient se développer à moyen terme10. Des exemples précoces incluent les systèmes “en boucle fermée” où la glycémie d’un patient diabétique est surveillée en continu et la délivrance d’insuline ajustée automatiquement, tout en enregistrant les ajustements dans la base de données clinique. Le suivi de l’observance à distance est aussi très important lorsque des traitements complexes – notamment en oncologie – doivent être gérés.
3. Patients
Owen Mumford commande régulièrement des recherches centrées sur les facteurs humains dans le cadre de ses programmes de conception et de développement de dispositifs – une exigence désormais obligatoire dans l’approbation réglementaire. L’étude des facteurs humains garantit que le confort et la facilité d’utilisation pour le patient sont pris en compte dès la phase de conception, afin de limiter les risques. Cela maximise la probabilité d’adoption du dispositif par les patients et décharge les cliniciens d’obstacles inutiles dans leur mission d’amélioration de la vie des patients.
La connectivité offrira sans doute des bénéfices de plus en plus visibles au patient à mesure que la médecine devient plus personnalisée, afin d’améliorer les résultats immédiats et la santé sur le long terme. C’est également inscrit dans les politiques de santé à travers le monde. En Europe, par exemple, l’initiative Horizon 2020, lancée en 2015, vise à personnaliser les soins, renforcer l’autonomie des citoyens via l’auto-gestion de la santé et des maladies, la promotion et la prévention11. Les flux de données issus des dispositifs connectés jouent un rôle clé dans la réussite de telles initiatives. Qui ne souhaiterait pas être rassuré que son traitement est bien adapté et personnalisé à ses besoins ? Cependant, la manière de transmettre ces informations doit être soigneusement gérée : certains patients ne veulent pas tout savoir, d’autres deviennent anxieux, voire obsédés, par le flux régulier de données.
A l’inverse, des recherches qualitatives menées par Owen Mumford auprès d’un panel de plus de 120 personnes montrent qu’actuellement, le numérique n’est pas la priorité pour les patients. Le confort et la simplicité d’utilisation sont les critères les plus importants pour les auto-injecteurs. Cependant, compte tenu des bénéfices prouvés de l’observance et de la personnalisation, les auteurs du rapport suggèrent que des campagnes de sensibilisation (patients et infirmiers) concernant les bénéfices de la digitalisation des systèmes d’administration de médicaments seraient nécessaires dans la plupart des systèmes de santé mondiaux pour encourager l’adoption et l’usage.
4. Entreprises pharmaceutiques
Les autorités réglementaires n’intègrent pas la technologie numérique sans une surveillance accrue des résultats en santé. Par exemple, la FDA12 aux Etats-Unis et le NICE13 au Royaume-Uni ont défini des standards fondés sur les preuves pour les technologies de santé numériques, qui exigent de démontrer concrètement un retour sur investissement mesurable et proportionné. Il existe donc une tension : les dispositifs numériques proposent un mode de gestion à distance plus économique des patients, mais tant que la généralisation des dispositifs connectés n’est pas réalisée, les bénéfices avérés de ces flux de données restent difficiles à vérifier sur le terrain.
Quoi qu’il en soit, plusieurs raisons expliquent l’intérêt porté à la connectivité numérique dans les dispositifs d’administration de médicaments. Premièrement, comme mentionné plus haut, la gestion à distance et l’auto-administration sont encouragées par les politiques publiques. Les entreprises pharmaceutiques qui ne proposent pas de solutions numériques risquent donc de perdre des parts de marché, surtout sur les marchés concurrentiels. Deuxièmement, la montée en puissance de l’approche « soins axés sur les résultats » conduit les entreprises à veiller à ce que les patients utilisent correctement leur traitement, car cela aura un effet direct sur la mesure du succès du médicament. Les dispositifs connectés aident à mesurer et améliorer l’observance. Les nouvelles générations de biothérapies sont coûteuses ; toute méthode permettant de réduire les gaspillages ou erreurs de dosage est donc la bienvenue.
Enfin, les entreprises pharmaceutiques (et fabricants de dispositifs médicaux) tendent à proposer des services complets, et plus seulement des produits. Autrement dit, les organismes de santé ne commandent plus uniquement des médicaments mais un accompagnement global – formation, adoption, suivi de l’observance, hotlines, etc. Cette évolution est en partie liée à la pénurie de personnel soignant, mais aussi à la prise de conscience qu’il n’est pas optimal de former des spécialistes dans chaque groupe hospitalier. Pour ces fournisseurs de services, la connectivité numérique, en particulier au sein des solutions d’administration, devient essentielle pour rester compétitif et économique.
Comme le souligne un grand cabinet de conseil international14 : “De nombreuses entreprises cherchent aussi à démontrer la valeur ajoutée via de nouveaux modèles tarifaires, une meilleure remontée des bénéfices et l’introduction de services complémentaires allant ‘au-delà du médicament’.” Un autre15 ajoute : “Les programmes d’accompagnement des patients constituent un autre moyen pour les laboratoires de soutenir la compréhension des maladies, leur gestion et l’adhésion au traitement.” Désormais, gouvernements et assureurs exigent des preuves tangibles quant à l’efficacité réelle des médicaments achetés. Cela a de profondes répercussions pour les laboratoires. La capacité à démontrer la valeur ajoutée devient un facteur de différenciation essentiel, et l’offre de services dédiés au patient fait partie intégrante de cette valeur.
Dispositifs connectés – des solutions durables
Des études indépendantes récentes montrent que les dispositifs connectés encouragent l’observance thérapeutique16. Cependant, la généralisation de ces dispositifs soulève des enjeux économiques et environnementaux. Même si les coûts des composants électroniques diminuent, ces dispositifs font appel à des métaux rares dont le gaspillage pose problème d’un point de vue sociétal17. Sur le plan économique, remplacer un dispositif traditionnel par un modèle connecté et jetable serait peu rentable.
Pour répondre à ces préoccupations financières et environnementales, une approche hybride durable est désormais privilégiée pour le développement des dispositifs connectés d’administration de médicaments. La plupart des équipements intègrent l’électronique dans une « coque » connectée réutilisable, où les auto-injecteurs traditionnels jouent le rôle de consommables à usage unique. On obtient ainsi des gains économiques tout en bénéficiant des avantages de la connectivité numérique.
Dans les développements les plus récents, on va encore plus loin : les concepteurs cherchent à rendre le module électronique détachable au sein du dispositif pour renforcer la réutilisation. Même réutilisables, les appareils s’usent et doivent être renouvelés. Toutefois, si l’électronique peut être transférée d’un dispositif à l’autre, la durabilité et l’écoresponsabilité franchissent un cap supplémentaire.
Conclusion
L’ensemble des éléments présentés dans ce rapport montrent que les systèmes de santé, les patients et les entreprises pharmaceutiques ont tout à gagner – à titre différent – à l’introduction de dispositifs connectés d’administration de médicaments. Les concepteurs travaillent sur des solutions connectées permettant de s’appuyer sur les auto-injecteurs classiques afin de limiter coûts et impact environnemental.
L’arrivée des dispositifs connectés pose toutefois certains défis. En premier lieu, la standardisation des protocoles d’échange de données pour assurer l’interopérabilité avec les systèmes cliniques. Cela relève de la responsabilité commune des pouvoirs publics, des assureurs, des prestataires de soins et des entreprises pharmaceutiques. La collaboration est la clé. Ensuite, la question de la protection des données.
La sécurité des données dans un monde connecté ne concerne pas que la santé : partout, les objets connectés peuvent devenir la porte d’entrée à des violations. Là encore, la coopération entre régulateurs et acteurs du marché sera essentielle, l’avantage allant probablement aux fournisseurs optant pour des standards ouverts en matière de gestion et de protection des données.
La croissance des dispositifs d’administration connectés de médicaments paraît inévitable, au vu des bénéfices attendus pour l’efficience des systèmes de santé. Tous les acteurs sont donc encouragés à agir ensemble pour lever les obstacles potentiels.
Références
1. World Economic Forum, 5 façons de combler la pénurie mondiale de soignants, 15 juillet 2019
2. WHO, Réduire le déficit de 18 millions de professionnels de santé, 28 mai 2019
3. Siemens Financial Services, Priority Investment, novembre 2019
4. Voir par exemple : European Journal of Public Health, How to govern the digital transformation of health services, 18 novembre 2019
5. Données propriétaires et rapports tiers, par exemple : GrandView Research, Connected Drug Delivery Devices Market Analysis, décembre 2018 ; Acumen Research, Connected Drug Delivery Devices Market, novembre 2019 ; Future Market Insights, Connected Drug Delivery Devices Market, décembre 2019.
6. C.Marra, J.L.Chen, A.Coravos, A.D.Stern, Quantifying the use of connected digital devices in clinical research, npj Digital Medicine 3:50, 3 avril 2020
7. BMC Health Services Research, Why does the NHS struggle to adopt eHealth innovations, 21 décembre 2019
8. Gallup, One in Five U.S. Adults Use Health Apps, Wearable Trackers
9. Electronics, A Survey on Internet of Things and Cloud Computing for Healthcare, 2019.8.708
10. Jenkins D, Smith T, “Why we need to think differently about drug delivery device connectivity”. Medtech Media Europe, 14 mars 2017
11. https://ec.europa.eu/progtrammes/horizon2020
12. Voir https://www.fda.gov/medical-devices/digital-health/guidances-digital-health-content pour la liste des recommandations sur les contenus numériques pour la santé
13. Voir https://www.nice.org.uk/Media/Default/About/what-we-do/our-programmes/evidence-standards-framework/user-guide.pdf pour le guide du référentiel sur les technologies numériques de santé
14. Deloitte, Pharma and the connected patient, 2017 ; également, PWC, Pharma 2020: Supplying the future, 2011
15. EFPIA, Value-based healthcare: an industry perspective, 24 juin 2019
16. Medical Devices (Auckland, N.Z.), Connected drug delivery devices to complement drug treatments: potential to facilitate disease management in home setting, Med Devices (Auckl). 2019; 12: 101–127.
17. Deutsche Welle, Smart devices score poor marks on recycling, 21 novembre 2019